TSHEPISO MAZIBUKO, éTOILE MONTANTE DE LA PHOTOGRAPHIE SUD-AFRICAINE

Obtenir deux prix différents dans le cadre des Rencontres de la photographie d'Arles, la même année, ouvre de belles perspectives à la jeune photographe sud-africaine Tshepiso Mazibuko. Née en 1995, dans le township de Thokoza à une trentaine de kilomètres de Johannesburg, son travail est présenté dans le cadre du prix Découverte Roederer, avec six autres photographes sélectionnés. Non seulement, elle a remporté le Prix du Public qui vote pour l'un des projets présentés dans le cadre du prix Découverte, mais aussi le prix Madame Figaro. Ce dernier, dédié aux femmes photographes, récompense le travail d'une artiste présentée dans le programme des Rencontres d'Arles.

Son projet intitulé Ho tshepa ntshepedi ya bontshepe, « croire en quelque chose qui ne viendra jamais » selon un proverbe sesotho, porte sur la génération des « born free », cette génération noire née après la fin de l'apartheid et à laquelle elle appartient.

À travers des portraits de jeunes gens photographiés dans leur quotidien à Thokoza, la photographe porte un regard introspectif sur sa communauté. Elle capture les sentiments qui traversent ces jeunes que l'on désigne comme « nés libres ». Comment se sentir libre aujourd'hui pour ces jeunes, plongés dans une société inégalitaire et violente ? L'espoir s'est transformé en frustration, en désillusion. Elle en documente l'intimité. Les photos peuvent se répondre l'une l'autre, en contraste, comme celle de la coiffure d'une fillette aux cheveux roses, le tee-shirt un peu sale, dont elle a coupé la tête, et à côté une jeune fille, en uniforme, tirée à quatre épingles, que l'on imagine prête pour partir à l'école. Ces portraits racontent la difficulté de la vie dans le township et laissent transparaître une grande empathie avec sa communauté. « Cette année, nous avons reçu près de 300 candidatures pour concourir à ce Prix Découverte. Les dossiers ne sont pas présentés par les photographes eux-mêmes, mais par des institutions, galerie privée, centre d'art, fondation? » explique la curatrice Audrey Illouz.

Très émue, la jeune photographe est montée deux fois sur la scène de l'amphithéâtre d'Arles pour recevoir ses prix. Sur Instagram, elle a posté : « J'ai encore gagné ! Cette partie de ma vie s'appelle la gratitude. Merci au Prix Louis Roederer. Merci au public. Je suis juste étonnée de la façon dont vous m'avez choisie. »

Le prix Madame Figaro lui permet de recevoir une dotation de 10 000 euros pour l'acquisition de certains de ces tirages par les Rencontres d'Arles et la publication d'un portfolio mode dans le magazine Madame Figaro. Avec le Prix du Public, du Prix Découverte de la Fondation Roederer, elle recevra une dotation de 5 000 euros à travers une acquisition. Rencontre ? entre deux prix ? avec l'artiste à la terrasse d'un café arlésien.

Le Point Afrique : Comment en êtes-vous venue à la photographie ?

Tshepiso Mazibuko : Honnêtement, je n'ai pas choisi la photographie, mais c'est la photographie qui m'a choisie. Très vite, j'ai essayé de m'en éloigner. J'ai compris que c'était une carrière difficile. À l'époque, au lycée, c'était important de choisir un métier qui me permettrait de nourrir ma famille, et la photographie ne l'était clairement pas. J'étais une bonne élève et ma famille attendait certainement quelque chose d'autre, peut-être une carrière de docteur ou d'avocat. Cependant, si la photographie m'a choisie au début, je sens de plus en plus que je la choisis. Maintenant, nous sommes dans une relation consensuelle.

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Vous disiez que la photographie était aussi arrivée par accident, pouvez-vous expliquer ?

Oui, c'est une histoire rigolote. Je suivais des cours d'art visuel au lycée et un ami, Lindo, me disait de venir aux ateliers de photographie du programme Of Soul and Joy. Je n'étais pas vraiment intéressée. Pour me convaincre, il m'a dit qu'il y avait plein de bons plats, de viande et autres, à manger après les classes. Je suis venue en cours juste pour la nourriture ! C'est seulement après deux mois que j'ai commencé à m'intéresser réellement au cours de photographie. Grâce à ce programme, j'ai eu une bourse pour étudier à l'université, au Market Photo Workshop. Aujourd'hui, c'est un peu étrange? Je donne des cours dans cette université. De ma vie, je n'avais jamais imaginé que je serais enseignante !

Le sujet que vous avez présenté à Arles portait sur la génération des « born free », les « nés libres ». Qu'est-ce que cela représente pour vous ?

Vous êtes née libre, c'est vrai. Physiquement, vous êtes née libre. Vous pouvez aller où vous voulez, ce qui n'était pas le cas du temps de l'apartheid. Je suis toujours en train de chercher une définition de la liberté. Je ne m'identifie pas au terme de né libre car je porte l'histoire de ma famille et de mon environnement. Tout cela ne s'efface pas juste parce que je suis née un an après la fin de l'apartheid. Quand vous êtes désignée comme né-libre, cela impacte votre état physiologique, cela vous donne de l'espoir et vous pensez que vous n'avez pas de limites. Cela pose problème. Cette qualification crée dans la société un espoir qui n'est pas nourri. Il se transforme en frustration.

Tshepiso Mazibuko est née en 1995 dans le township de Thokoza situé à une trentaine de kilomètres au sud-est de Johannesburg où elle vit et travaille. © Frank Marshall
Je me suis beaucoup battue pour arriver à parler de ce travail. Je disais juste c'est un travail à propos des « born free » et je commençais à pleurer. En parlant de ce travail à Cape Town à l'occasion d'un Fellowship, je ne parvenais pas à l'articuler en anglais, à l'expliquer. J'ai dû parler en sotho. C'est comme cela que j'ai pu expliquer mon travail. Les règles se sont alors mises en place. J'ai commencé à photographier réellement car, avant, j'essayais juste.
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Que représente pour vous le fait d'être exposée à Arles ?

À Arles, la manière dont le projet a été exposé et les réactions à propos de mon travail m'apportent un fort sentiment de validation. Personne ne me parle d'esthétisme, tout le monde me parle d'émotion. Pour moi, cela veut dire que j'ai atteint mon objectif. Constamment, je me suis demandée comment photographier l'émotion, comment dire que cette image symbolise la joie, la tristesse, c'est juste intangible. Je suis juste super heureuse, j'ai eu la capacité de capter les sentiments. Je suis emphatique, mais je ne savais pas si j'arriverais à le montrer dans mes photographies.

J'avais peur de l'avenir. Certainement tout le monde a cette incertitude, mais pour moi c'est encore plus profond. Aujourd'hui, il y a un renversement. Je suis attendue. C'est beaucoup de responsabilité. Je ne savais même pas pourquoi on m'avait mise sur la short liste pour le prix Madame Figaro. C'était comme une seconde chance pour moi. Une chance de me réintroduire moi-même, à ma vraie nature, sans être effrayée par les critiques. Si quelqu'un n'aime pas mon travail, ce n'est pas grave. Cela n'est pas pour eux. Si quelqu'un l'aime, tant mieux. Mais avant tout, il est réalisé.

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Quelle démarche avez-vous adoptée pour ce projet, comment parvenez-vous à créer ce moment d'intimité ?

Pour mon tout premier projet, je suis allée frapper aux portes des maisons. Je me présentais en disant : « Je suis photographe, j'aimerais photographier votre maison. » Je leur explique mon travail et ils me disent oui ou non. Quand je viens pour la première fois, je n'amène pas mon appareil, je viens pour un moment. Ce n'est pas comme un photographe de rue qui voit quelque chose, sort sa caméra et prend un cliché. Lorsque je travaille pour un projet, je laisse les images venir à moi. L'important est d'arriver à créer une intimité. C'est aussi me prouver à moi-même que je mérite la confiance que les gens me donnent.

Bien sûr, dans le type d'environnement que je photographie, certaines maisons sont cossues, d'autres non. Je préviens aussi les personnes. Je ne suis pas le Messie. Je ne veux pas qu'ils puissent penser que grâce à mes images, leur vie va changer. Je m'assure que les gens comprennent cela.

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Digital ou argentique ? Noir et blanc ou couleur ?

En ce moment, je ne fais que des prises de vue en argentique. Mais pour les images de ce projet, il y a les deux. Parfois j'ai mon appareil photo numérique, d'autres l'argentique, c'est un jeu. Mais le défi a été le premier sujet que j'ai pris en couleur. Je ne faisais que du noir et blanc. J'ai voulu en passant à la couleur me lancer un défi. J'ai un ?il en noir et blanc. Je savais comment regarder en noir et blanc. J'avais envie de comprendre la couleur, mais je trouvais cela très compliqué. La couleur ajoute au contexte, ce qui veut dire que vous devez réfléchir, planifier à l'avance le cadre. Je n'étais pas assez patiente pour la couleur.

Un projet en cours ?

Pour mon nouveau projet, je reviens au noir et blanc. C'est un projet en lien avec les archives de Magnum, l'agence photo. Je travaille sur les corps noirs, leur représentation. Je suis très concernée par la construction d'une archive. Je questionne la matérialité des photographies. Ce nouveau corps de travail parle du temps, de la mort et de la mémoire.

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