Entretien avec Abdou Moukite, Fondateur et PDG de RedaGraph
Propos recueillis par Najib Amrani
Al Bayane : Avant d’entamer cette conversation, nous aimerions nous enquérir de l’état de santé et du devenir de cette institution emblématique qu’est RedaGraph et de ce secteur en général ?
Le secteur de l’imprimerie est en train de s’adapter aux défis posés par la numérisation et la diminution de la demande d’impression papier.
Plusieurs imprimeries ont cherché à diversifier leurs services en sortant des sentiers battus de l’impression offset pour se tourner vers l’impression flexo ou hélio. Mais la tendance actuelle tend vers l’impression numérique, l’impression à la demande et la personnalisation.
Avez-vous en mémoire quelques moments ou dates clés qui ont marqué votre longue carrière, notamment dans votre relation avec ce milieu ?
Depuis 1969, date à laquelle j’ai intégré le domaine des arts graphiques, j’ai assisté à une grande évolution et je dirais même une révolution dans notre secteur. J’ai connu tout d’abord les caractères métalliques mobiles créés par le célèbre Gutenberg, pour le procédé de la typographie. En passant par la Linotype, qui fond chaque ligne d’un seul bloc, puis la monotype, qui fond et assemble les caractères mobiles un par un, les dernières améliorations viennent de l’ordinateur, qui compose et réalise automatiquement la mise en page en un temps record.
Le CTP ( computer to plate ) a développé énormément l’impression en offset avec une qualité irréprochable. Au fil des ans, de nouvelles technologies permettent des développements significatifs dans tous les procédés d’impression à telle enseigne que nous étions dépassés par la vitesse des innovations.
On n’avait même pas le temps de former le personnel sur des nouveaux équipements que d’autres nouveautés voyaient le jour. Les décennies 80, 90 et 2000 étaient décisives pour les mutations et innovations de la presse marocaine.
Vous avez côtoyé plusieurs personnalités historiques, dont notamment le grand leader progressiste Feu Ali Yata. Quels souvenirs gardez-vous de votre relation avec ce monument de la vie politique et médiatique nationale ?
Effectivement, j’ai eu l’honneur de côtoyer et de traiter avec tous les leaders et les présidents de partis politiques. Plusieurs journaux ont acquis des nouveaux équipements en photocomposition, PAO et des rotatives performantes pour l’impression de leurs travaux en couleurs. Rédagraph, en tant que leader dans ces domaines, a équipé pendant cette période toute la presse marocaine.
Je n’oublierai jamais la relation exceptionnelle que j’avais avec feu Ssi Ali Yata que Dieu l’ait en sa sainte miséricorde.
Après quelques rencontres et plusieurs propositions pour du matériel neuf, la confiance s’est installée très rapidement et feu Ali Yata a passé des commandes importantes de divers matériels de PAO et de photocomposition.
Après quelques semaines, feu Si Ali Yata m’a posé un grand problème lorsqu’il m’a demandé de lui trouver une rotative pouvant imprimer 16 pages dont quatre en couleurs. Le matériel doit être de seconde main car les finances ne permettaient pas l’acquisition du matériel neuf au même titre que les autres confrères. J’ai été toujours allergique au matériel d’occasion, surtout dans le domaine de la presse qui nécessite un matériel performant, fiable et qui doit imprimer les journaux quotidiennement. Après réflexion, j’ai contacté notre fournisseur GOSS-USA pour trouver une rotative selon les besoins du journal Al Bayane.
Quelques jours après, notre représentée GOSS m’informe de la reprise d’une rotative qui a tourné à peine quelques mois chez l’un des ses clients. J’ai pris immédiatement l’avion pour aller visiter cette rotative à Chicago. J’ai été franchement impressionné par l’état général de cette rotative qui a été révisée et garantie par le constructeur GOSS. J’ai négocié un bon prix que j’ai présenté à Feu Ssi Ali Yata.
La commande a été immédiatement passée et mes inquiétudes se sont amplifiées lorsque Ssi Ali a refusé que feu Nadir, qui était un grand ami, puisse m’accompagner pour assister au tirage et aux essais d’impression en couleurs et inspecter en même temps la machine avant son expédition au Maroc. Je devais assumer toute la responsabilité tout seul. « Je te fais entièrement confiance », m’avait-il assuré.
À ce moment là, la pression sur mes épaules était très intense car il fallait penser à tout afin de satisfaire Ssi Ali et ses techniciens. Grâce à Dieu tout s’est très bien passé.
Dès les premiers tirages, les journaux en couleurs ont été appréciés et tout le personnel de l’imprimerie était heureux de la bonne qualité de cette rotative.
Une journée spéciale a été organisée pour célébrer cet important événement auquel ont assisté plusieurs personnalités du monde de la presse et des arts graphiques en général. Effectivement ces trois décennies étaient décisives dans le développement qui a marqué la vie de Rédagraph.
Cependant, ces dernières années, l’activité des imprimeurs et du secteur de la presse ont connu une forte baisse des tirages qui sont du fait d’une montée en puissance des médias en ligne, ce qui a réduit considérablement les investissements dans le domaine des arts graphiques.
Vous avez été la première entreprise à introduire les produits Apple au Maroc. Parlez-nous un peu de la marque APPLE et des secrets de son succès planétaire.
Mon histoire avec Apple a débuté lors d’un voyage aux USA en 1985. J’avais découvert cette entreprise qui a connu un succès planétaire. Les secrets de Apple résident dans son innovation constante, au design et à l’esthétique de ses produits, un écosystème interconnecté de produits, de logiciels et de services qui offrent une expérience utilisateur fluide et à ses campagnes marketing qui sont souvent mémorables et axées sur les émotions.
Des produits emblématiques comme l’IPhone ou l’IPad et surtout le Macintosh ont révolutionné la manière de travailler et de la connexion au monde extérieur.
Ces éléments, combinés à la vision de Steve Jobs et à la capacité d’Apple à anticiper les besoins des consommateurs, ont contribué au succès planétaire de la marque.
Enfin, un dernier mot sur Abdou Moukite, sa vie, ses passions, ses projets ?
Tout ce que je peux dire sur moi, c’est que je suis un homme comblé et heureux qui a le sentiment du devoir accompli. J’ai passé le flambeau à mes enfants qui ont fait des hautes études et ont acquis une bonne culture et de bons diplômes. Actuellement je suis versé dans des activités caritatives dans le cadre de quelques associations telles que le Lions Clubs et le Rotary international. Ça me prend beaucoup de temps mais c’est un plaisir de penser aux autres et essayer de rendre service aux démunis.
Quant aux projets, ils sont nombreux. Je ne cesse de motiver mes enfants en les incitant à poursuivre leurs objectifs et à surmonter les obstacles et les problèmes de la vie. Il faut favoriser la résilience face à l’adversité et stimuler la créativité et se préparer à un avenir meilleur.
En fin de compte, l’optimisme doit être une source de motivation et d’espoir, mais il doit être accompagné d’efforts constants et concrets pour accompagner le développement du Maroc de demain.