MARCHé DE L’ARMEMENT EN AFRIQUE : L’ÉGYPTE à L’OFFENSIVE MALGRé LE CONTEXTE GéOPOLITIQUE

Avec des revenus estimés à 597 milliards de dollars en 2022, selon une étude de décembre dernier du Sipri, les plus grandes sociétés de production d'armes et de services militaires au monde ont de quoi se frotter les mains. Malgré la chute d'importations d'armes par certains géants comme la Chine, de nombreux États ont néanmoins maintenu leur place de grands consommateurs d'armes, à l'instar de l'Égypte qui, depuis plusieurs années, sévit dans le top 10 des pays considérés comme les plus gros importateurs d'armes au monde et où les modes de financement suscitent des interrogations. Analyse.

Le constat est net : le continent a connu une baisse drastique de ses achats en armement. Ainsi, le Sipri révèle dans une note publiée le 11 mars que « les importations d'armes majeures par les États africains ont chuté de 52 % ». Une baisse, explique Filip Reyniers, directeur de l'International Peace Information Service (Ipis), basé à Anvers, « due à une diminution des achats d'armes par le Maroc (- 46 %) et l'Algérie (- 77 %), qui ont tous deux rapidement renforcé leurs capacités militaires dans le cadre d'une course aux armements de facto ».

Cependant, dans cette galaxie de clients africains, un pays en particulier connaît une boulimie constante d'achats en armement depuis un certain temps : la terre des pharaons. Pour en comprendre l'ampleur, inutile de se perdre dans de grandes analyses statistiques, un rapide coup d'?il sur quelques chiffres suffit.

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L'Égypte, l'exception africaine

Ainsi, les autorités du Caire, qui ambitionnent de maintenir leur statut de puissance militaire régionale, ont dépensé sans compter en investissant approximativement « plus de 44 milliards de dollars sur une période de dix ans entre 2010 et 2020 », estime Khalil al-Anani, senior fellow auprès de l'Arab Center à Washington, en se basant sur les données publiées par le Sipri. Des montants dépensés assez élevés, si on les compare à ceux d'autres pays africains, notamment subsahariens, qui ont continué à se maintenir en 2021 (plus de 5,1 milliards de dollars) et 2022 (4,6 milliards de dollars) et ont permis à l'Égypte de se hisser aujourd'hui à la septième place dans le classement des plus grands importateurs d'armes au monde sur la période 2019-2023. Une logique d'acquisition motivée par plusieurs raisons spécifiques.

D'un côté, souligne l'expert belge de l'Ipis, « il semble y avoir un agenda interne, où le renforcement de l'armée sert à obtenir l'adhésion des commandants et des troupes. Le renforcement de l'armée renforce le statut du gouvernement et la position de la classe dirigeante ». De l'autre, continue le chercheur, « l'Égypte utilise l'achat d'armes pour renforcer ses liens stratégiques avec de nombreux donateurs, tant les pays occidentaux que la Russie ».

Un approvisionnement auprès de Moscou qui se heurte à certains obstacles auxquels les sanctions occidentales à la suite de l'invasion de la Russie en Ukraine ne sont pas étrangères car, indique Filip Reyniers, « les transactions se sont compliquées en raison du blocage du système de paiement international Swift. Des pays comme l'Égypte, tout en continuant à importer des armes russes, cherchent à diversifier leurs importations pour jouer la carte de la sécurité et atténuer les effets des sanctions ». Une recherche de partenaires additionnels avec, en toile de fond, une frénésie des dépenses qui comportent de multiples zones d'ombre où des régimes militaires tentent de se maintenir au pouvoir.

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Les zones d'ombre

Dans ce contexte, indique Yannick Quéau, à la tête du Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité (Grip), établi à Bruxelles, « le cas de l'Égypte est assez emblématique. On a un État qui est au bord de la faillite avec une emprise sur l'ensemble de l'activité de la société, qu'elle soit militaire, sécuritaire ou encore économique ». Cette dernière est généralement gérée par des agences telles que l'Organisation nationale des produits de service, voire les forces armées autorité d'ingénierie, affiliées au ministère de la Défense. Elles pilotent de grands projets d'infrastructures et dirigent des entreprises commerciales dans différents secteurs, allant de l'agriculture à l'industrie des mines et de la santé.

En d'autres termes, « on se retrouve dans un marché corrompu caractérisé par des logiques d'enrichissement personnel. Un pays qui achète tout et un peu n'importe quoi selon un raisonnement sécuritaire où l'on se demande quelle est la finalité de certains équipements, » raconte ce membre fondateur de l'Open Source Intelligence on Politics (Osintpol).

Ainsi, détaille-t-il, « dans le cadre de l'achat des Mistral français, il est déroutant de voir la logique sécuritaire qui se cache derrière et qui motive une acquisition aussi lourde d'un point de vue budgétaire. D'autant qu'il faut passer par des garanties financières qui sont fournies par d'autres pays, ouvertement issus du Moyen-Orient », souvent pointés du doigt pour leur opacité quant aux règles et aux transactions financières.

On l'aura bien compris, l'Égypte continuera probablement à se pourvoir de manière significative en équipement militaire grâce notamment à la sécurité financière apportée par ses nombreux partenaires internationaux. Dans ce contexte, alors que l'Union européenne vient de signer un accord de partenariat avec Le Caire pour un montant de 7,4 milliards d'euros qui prévoit une aide économique contre un contrôle renforcé des frontières au pays des pharaons, peut-on considérer que cette manne financière sera utilisée en toute transparence sans qu'une partie soit obscurément détournée pour acquérir de nouvelles armes à des fins de maintien de pouvoir ? Le doute est permis.

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